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PELURES
13 mai 2012

le texte de AEH pour le temps 3

Merci beaucoup     Aude-Emmanuelle         

                                

                                                      Dominique Ficot est mort

 

            Dominique Ficot est mort. La nouvelle est tombée ce matin. Son corps enveloppé dans un linceul de plâtre a été transporté à l'écart de la ville, pour ne pas gêner. Le brouhaha s'est tu.  Les pores des murs s'ouvrent à de nouvelles sensations. Le souffle du vent s'allonge. L'heure est au repos.

 

            Le rôle du mouvement dans le décès de l'artiste est pointé du doigt par le corps médical. « Il s'agitait dans tous les sens, en vain. Il était fasciné par l'accélération du monde. Il avait fait le pari de dicter à l'univers son rythme, de s'élever au-dessus des Titans. Il s'était lancé dans une course effrénée vers les sommets de l'Olympe. Son cœur n'a pas tenu. »

 

 

              Personne n'a vraiment compris qui était Ficot. Il voulait simplement trouver la faille qui lui permettrait de quitter le monde profane, pour être vraiment lui.

               Il s'est perdu en route.

                A l'heure qu'il est, il gambade au Paradis, offrant des mûres sauvages aux visiteurs.

 

De son histoire, personne n'a pu fournir d'explication crédible.

Moi, je vais vous dire ce qui s'est vraiment passé.

Ficot a voulu soumettre son Moi à une expérience inédite. Il a sexualisé son ego pour l'offrir au regard des visiteurs, sans pudeur. Nu comme un ver, il a laissé son sexe enfler. La démarche l'a libéré de ses hésitations.

Les atomes du Moi restent centrés sur leur position moyenne et il a fallu faire plus pour déclencher la révolution intime. Alors il a marché, couru, chanté des psaumes, écrit des équations sur les murs. Il s'est élancé vers le firmament et s'est retrouvé pris au piège de sa propre fougue. Coincé dans le béton, comme un con.

Alors il a fait autrement. Il a cherché à provoquer la dilatation thermique de son Moi. Il s'est inventé une histoire pour chauffer la machine.

 Puis, il a tourné autour de l'axe du temps pour augmenter la quantité de mouvement des particules.

Et là, il s'est produit quelque chose qu'il n'avait pas prévu.

L’amplification de sa pression interne. Le nombre de chocs intra-particulaires a augmenté. Son Moi a connu une expansion sans précédent et s'est mis à conquérir l’Infini. Il a décodé les secrets de la Création qui finalement, lui ont paru barbares. Ficot a compris qu'au fond, il n'était qu'un assemblage d'expériences et de souvenirs et que derrière tout ça, il n'y avait rien, rien sinon le Tout. Un Tout décevant

Alors il est mort. Peut-être pour toujours.

 

                                       La veillée funèbre

C'est une veillée ludique qui ne s'embarrasse pas du défunt. On y trouve des vestes rigides, dernières acquisitions de l’artiste. Vous pouvez les acheter pour une somme modique.

On vous conseille d'abord de les essayer et de vous faire photographier dans un siège ministériel, pour voir ce que ça donne. Vous pouvez prendre la pose et vous munir d'un objet seyant.

Les objets proposés s'appellent des trésors. Ils sont faits d’une drôle de matière plastique, couverte de peinture vive, luisante, travaillée dans la chair. Ils invitent à la mise en bouche, au léchage, au pétrissage. On les porte à bras, comme des bébés. La matière enveloppe des objets bizarres. Des objets du bonheur. Du bonheur épuisé, resucé, perdu, celui des proches de Ficot,

Il n'y a plus de suc à en extraire. La couleur est sans goût. Il le savait. C'est pour ça qu'il les a réservés pour ses funérailles. Pour introduire un peu de deuil dans le décor, pour que vous puissiez emporter son chagrin, pour qu'il vous troue le cœur, qu'il en reste quelque chose.

Mais quand la photo sera prise, vous serez mort à votre tour. Immobilisé pour toujours, transformé en spectre, ou peut-être en sycomore. C'est tout.

                                  Avant de disparaître avez-vous vu les ancêtres ?

          Ce sont des excréments d'âme qui planent après le décès d'un vivant, les fantasmes du jeune mort qui glissent dans l'antichambre des enfers. Ce sont des morceaux d'amour partiels, recomposés en figures mimétiques de la vie. Ils n'ont qu'une réalité d'impression. Pas de visages. Que des grimaces corporelles.

           Avant de lâcher prise, le mort s'est appliqué à leur donner une forme et à leur inventer une histoire. La maman et son petit garçon. L'homme chauve-souris écrasé par l'ampleur de la tâche, les gens, anonymes, qui figurent dans le registre de la vie. Les seins qui bourgeonnent et le pantalon lourd du besoin. Il n’en reste que des pièces de tissus.

            Le vêtement, signe distinctif de leur quête intimes, des illusions du Moi, exprime tout de ce que les hommes étaient.

Interchangeables,  recomposables à l'infini, il ne sont rien. Le souvenir lui-même est flou.

 

 

 

 

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  • Installations, performances, dessins, peintures, coutures... techniques mixtes. "Pelures" est un cycle construit en 5 ans.Productions le long d'un "voyage" entre les ressorts de l'intime et ceux des valeurs symboliques communément partagées, universelles.
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