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PELURES
4 avril 2012

TEXTE de présentation du cycle "Pelures"

MARS   JUILLET   2012

PELURES

Une exposition en 6 temps de Dominique FICOT

Six expositions

Texte de présentation de Aude-Emmanuelle  Hoareau

 

FICOT OU L’EXPERIENCE DE L’INTIME

 

    Dans son cycle artistique « Pelures », Dominique Ficot développe ce que le philosophe Gaston Bachelard nomme une « poétique » de la maison, de la hutte, des coffres, des armoires, du recoin dans lequel se love le quotidien. C’est l’intime au sens le plus trivial du terme qui se donne à voir dans un premier temps. Mais au fil du cycle d’exposition se constitue une symbolique de l’intime, comme jaillissement de la vie intérieure de l’artiste portée par l’immensité d’une quête. Le spectateur est alors invité à suivre la voie tracée par l’artiste, vers les profondeurs de l’âme où se produit, paradoxalement, le miracle d’un rapport unique à l’autre.

  Le vestiaire de l’âme

    « Château fort de l’âme » ou « vestiaire de l’âme », telles sont les images que les grands mystiques rhénans ont formés de l’intime, de ce qu’il y a deplus intérieur dans l’intériorité du sujet, de cette profondeur de vie sans fond parfois éprouvée et difficile à soutenir. Lorsque l’on pénètre dans l’atelier de Dominique Ficot, on est progressivement happé par l’immensité d’un vestiaire, un vestiaire au sens propre du terme. Des bâches cousues de vêtements exhalent une odeur du vieux tissu longtemps porté. La poussière, la cacophonie des couleurs, l’épaisseur des matières, tout nous pénètre et nous gêne. Lambeaux de vie, de corps, d’âme…tout pêle-mêle s’offre à nous. Des vêtements hybrides cousus sur des supports rigides sont plaqués sur les murs ou pendent du plafond, grimaçant comme d’étranges créatures. Des bouts de tissus finement hachés par la main de l’artiste jonchent le sol, et donnent l’impression à l’œil de s’abîmer dans un joyeux bordel.

 « Il y a des vêtements qui m’appartiennent, d’autres qui appartiennent à mes proches. Il y a aussi des pièces anonymes, qui viennent d’ailleurs » . On est censé s’y perdre, ne plus savoir. L’artiste traîne dans cet univers qu’il habite de ses performances. Performances sur la nature desquelles il se questionne encore. « Souvent, le spectateur ne sait pas que je joue. Il croit que je m’affaire parmi les œuvres. Est-ce cela la vraie performance ? »

  L’artiste investit totalement son décor qui devient partie de lui : son excroissance, son repaire d’enfant sans pudeur. Quant au spectateur, il observe avec tous les sens : l’ouïe car l’artiste est mobile et fait crisser les éléments, le toucher que la matière appelle, la vue, saturée par la profusion d’installations, l’odorat pris au piège, soit l’on passe son chemin, simplement intrigué. Tout est là, dans un univers à la fois présent et parallèle.

Les dimensions de l’intime

    Le vestiaire personnel de l’âme d’un homme qui a recréé sa chambre intime, à la limite de l’impudeur, de l’obscène et du gluant( citons Grosses couilles, une œuvre en plâtre sous forme de grosses couilles que l’artiste porte pour certaines performances ou encore les dessins de verges accumulés sur certaines parois) voilà ce que l’on trouve chez Ficot… Une demeure où se joue un mystère, une expérience de soi, une recollection de l’être, avec ses fluidités et ses scories. Pourquoi avoir recréé un vestiaire au sens propre du terme, des pièces jonchées de vêtements recyclées d’œuvre d’art ? Parce qu’il nous semble que Ficot s’est crée un monde à plusieurs dimensions, plusieurs entrées, un habitat sur mesure. Cet univers est peuplé de matières qu’il modèle et qui dégoulinent de liens affectifs. C’est l’intime comme sphère du privé, assez close. Les proches sont en effet présents à travers leurs vêtements que l’artiste plie et cout à des supports.

 L’intérêt du vestiaire comme repaire de l’intime est, comme l’expliquent les grands mystiques de tradition chrétienne, qu’il a plusieurs couches, plusieurs demeures. Mais le vestiaire a d’autres portes qui mènent subrepticement à l’âme de Ficot, à son discours intérieur.

  Au centre du château de l’âme nous dit Thérèse d’Avila (sainte catholique du XVIème siècle), au milieu de toutes les pièces, se trouve la principale, où se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l’âme. Gageons que chez Ficot, ce qu’il y a de plus secret est de l’ordre d’une quête qui le dépasse et se déprend des critères religieux. Mais au centre du vestiaire, c’est le rapport de soi à soi et de soi à l’Autre (non pas comme Dieu mais comme prochain) qui semble mis en question. L’univers de l’artiste est l’objet d’un effeuillage, d’une découverte de soi censée mener à l’essentiel. Il produit sans cesse et ne montre pas tout. Il essaie, méthodiquement, en explorant les techniques, les supports, en se laissant influencer par les rencontres… les proches sont à la fois ceux qui le guident et l’alourdissent dans cette quête. Le grand saut consisterait à se dessouder du proche pour accéder à soi, ce que refuse encore l’artiste par son acharnement à s’arrimer aux siens à travers ses pièces.

 Creuser le rapport à l’autre en plongeant au plus profond de soi

   Chez Ficot, l’intime est chaque fois l’objet d’une quête et d’un dépassement. L4ARTISTE CHERCHE 0 DISSIMULER CE QUI LUI EST CHER ; Le recouvrement de l’intime est omniprésent : objets de proches recouverts de plâtres et devenus invisibles, ou encore mélangés à des pièces inconnues… L’âme de Ficot est-elle prisonnière de l’intime ou protégée par ses cloisons ? Selon le philosophe Maine de Byran, l’intime n’a pas immédiatement d’objet, parce qu’il est une épreuve de soi dans la profondeur de la vie ? En occultant les objets, Ficot fait-il ainsi le grand saut vers le plus profond de soi ? Toujours est-il que ce plongeon au plus profond de soi est suivi chez les mystiques par une sortie hors de soi, redécouverte du monde…nous montrant qu’il n’y a rien de plus ouvert à l’altérité que l’expérience de l’intime. L’âme est expulsée vers le dehors, et retisse, d’une nouvelle manière, le lien avec le monde.

 Pour évoquer ce mouvement Ficot parle de cycle. Pour réaliser le cycle, il s’agit d’abord de présenter l’intime à travers des objets, de faire de ces objets des métaphores .Tout d’abord, exposer l’intime puis brouiller les repères, mélanger les plus précieux des proches avec d’autres, anonymes, inconnus, comme ce soutien-gorge rose cousu à d’autres vêtements dont on ne sait plus à qui ils ont appartenu…il s’agit en quelque sorte d’hybrider l’intime, d’en faire une créature nouvelle à l’identité composite et mixée . Un être expressif, un vivant. Puis, expurger l’intime de ses dépouilles, ne plus le faire apparaître pour en venir à bout.ET enfin, créer l’expérience de l’intime pour les autres à travers l’idée du vêtement collectif, une chaîne de vêtements de tailles différentes dans lesquels les gens vont se glisser, et même danser…

 L’idée est de s’approprier l’autre( un autre imaginé voire fantasmé) en entrant dans son vêtement, et de faire attention à la corporéité de l’autre(un autre réel) en habitant avec lui le vêtement collectif. S’opère donc un retour à l’intime assez spécial : intrusion dans l’intimité de l’autre. Effraction au cœur de sa fragilité.

L’intime renouvelé

   On retourne à l’intime mais sous une autre forme : l’expérience de l’intime est l’expérience de la fragilité de l’autre, de sa différence, de ses besoins. Cela veut-il dire qu’à travers son cycle Ficot découvre ce qu’il cherchait ? Le plus intime est-il ce qui me rapporte à l’autre, lorsque je le soutiens et prends acte de sa fragilité, lorsque je le porte comme un vêtement ?

  La quête de l’intime s’articule aussi, chez Ficot, à un questionnement sur l’identité. Comment parvenir à se rencontrer lorsque l’on est différent, que l’on participe d’un patchwork de vies et d’idées ? A travers le travail de l’artiste, c’est la diversité réunionnaise qui accède à l’expérience de l’intime. La disparité de ses formes ethniques et culturelles s’assemble en un miracle esthétique. Vêtements recomposés et vêtement collectif offrent la possibilité du vivre-ensemble fondé sur une contrainte salvatrice : trouver l’équilibre du vivant, accéder à l’harmonie du divers. Ficot s’associe à d’autres artistes pour prolonger la croissance de son travail. Avec Jako Maron, Soleïman Badat ou encore Jean-Marc Lacaze, il enrichit son univers de celui des autres, de son et d’images qui ne lui appartiennent plus. Par l’intermédiaire de sa veste qui voyage, confiée à l’artiste Christian Floy Jalma, il envoie une partie de lui s’offrir au monde, incognito.

Mars 2012, Aude-Emmanuelle Hoareau

Docteure en philosophie, Aude-Emmanuelle Hoareau est présidente du Cercle Philosophique Réunionnais. Elle enseigne l’esthétique et l’histoire des Arts à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de la Réunion. Elle a publié en 2011 « Concepts pour penser créole » et dirigé en 2012 l’édition du « Manifeste pour une pensée créole réunionnaise ».

 

 

 

 

 

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  • Installations, performances, dessins, peintures, coutures... techniques mixtes. "Pelures" est un cycle construit en 5 ans.Productions le long d'un "voyage" entre les ressorts de l'intime et ceux des valeurs symboliques communément partagées, universelles.
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